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Une belle erreur de management !

Voilà une belle erreur : renouveler systématiquement les périodes d’essai pour ne pas avoir à expliquer pourquoi on les renouvelle parfois !



«Votre période d’essai est renouvelée.»


C’est ce que stipule le mail de la DRH que Fabien relit au moins pour la vingtième fois. Il ne comprend pas bien où est le problème, ses trois premiers mois dans cette filiale d’un leader du BTP ont été un sans-faute.


Le directeur d’activité lui-même le lui a assuré pas plus tard que la semaine dernière, après lui avoir demandé de rester en ligne quelques minutes de plus à la fin d’un Zoom de chantier.


Alors pourquoi renouveler sa période d’essai ? Aurait-il raté quelque chose ? Déplu au directeur de division lors de sa visite sur le site ? Mal appliqué quelque consigne de sécurité bien tordue dont les administratifs du siège ont le secret ? Pas vu un sous-traitant qui ne portait pas correctement son masque ? Mais quand même, quelqu’un lui en aurait parlé à la direction des travaux ? Au moins sa responsable de secteur. Mais elle aussi lui avait dit que tout baignait. Alors quoi ?


Deux jours plus tard, il prend rendez-vous avec la DRH, au siège. C’est une femme intelligente, qui connaît comme sa poche ce groupe où elle a fait toute sa carrière. Elle ne semble pas vraiment étonnée de ce qui lui arrive.


«Vous n’êtes pas en cause personnellement, lui explique-t-elle, nous renouvelons systématiquement la période d’essai de tous les salariés.» Puis elle ajoute avec un sourire malicieux : «Cela évite aux opérationnels d’avoir à rassembler leur courage au cas où il faudrait annoncer un vrai renouvellement de période d’essai, pour de vraies raisons


Voilà une belle erreur de management : renouveler systématiquement les périodes d’essai pour ne pas avoir à expliquer pourquoi on les renouvelle parfois ! Les Shadoks ne seraient pas surpris.


Mais pourquoi prendre le risque de démotiver les 80% de salariés qui, comme Fabien, réussissent bien, mais ressortent du bureau de la DRH désabusés sur la culture managériale de l’entreprise, où ils avaient signé avec de petites étoiles dans les yeux ? Tout ça pour ne pas avoir à dire les yeux dans les yeux aux autres 20% la raison pour laquelle ils doivent rempiler ?


En 1978, Alexandre Soljenitsyne prononçait à Harvard sa fameuse leçon inaugurale sur «le déclin du courage». Ce déclin, qu’il dénonçait initialement dans la culture et les pratiques politiques, a fini par «ruisseler» sur un grand nombre de domaines, à commencer par le management. Car, en politique, on le sait, le but consiste à minimiser les ennuis potentiels et le retour de bâton.


Se taire est donc toujours préférable à l’effort de la parole, et c'est autant de temps gagné à ne pas dialoguer avec le salarié, à ne pas l’écouter, à ne pas répondre à ses objections… Au pire, s’il a vraiment des états d’âme, on pourra «outsourcer» la relation humaine en ayant recours aux services d’un coach.


Au-delà de la petite lâcheté relationnelle, renouveler les périodes d’essai de façon à les faire durer le plus longtemps possible permet d’attendre jusqu’à la dernière minute pour savoir si l’on va conserver un salarié ou appuyer sur le bouton du siège éjectable.


A un moment de perte de sens sans précédent, comment voulez-vous motiver vos collaborateurs s’ils vous voient, vous et leur boîte, incapables de faire confiance et de prendre un (petit) risque ?


On l’a dit cent fois dans ces colonnes, ce sont le sens et le lien qui font tenir debout des entreprises fragmentées en petites cellules individuelles collées en face de leur écran. Des pratiques en apparence anodines telles que ce renouvellement automatique contribuent à affaiblir les deux.


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